Après-midi au monastère
À 15 heures, je suis remonté à Hosshin-ji* comme prévu. Le monastère était calme. Je fus accueilli par le moine Jinen qui m’a servi le thé dans le bureau ; nous avons discuté jusqu’à 17 heures. Il parle bien l’anglais et c’était très intéressant. Il m’a d’abord expliqué plus précisément le fonctionnement du monastère. Celui-ci a deux fonctions principales : la formation des moines et des prêtres et l’accomplissement des cérémonies, principalement les funérailles et tous les services qui les suivent. Les profits du monastère proviennent de ces cérémonies ; la mendicité est surtout une pratique pour les moines (et les laïques qui les accompagnent).
Jinen m’a confirmé que les moines avaient beaucoup d’activités – ils sont donc très « busy » (j’ajoute). Ils pratiquent aussi la calligraphie, dont ils se servent pour effectuer des inscriptions sur des planchettes de bois (dont je n’ai pas compris exactement le rôle). Ils n’ont donc pas beaucoup de temps pour pratiquer la méditation, à part l’hiver, quand le temps ne permet pas de travailler au jardin. Pour la même raison, ils vont mendier surtout en hiver. Quand je lui ai expliqué mes différentes pratiques et activités, il a trouvé que j’étais très « busy » moi aussi !
Je lui ai alors demandé quelles activités étaient vraiment utiles. Il m’a dit que si on fait des choses qu’on juge utiles, c’est qu’on pense avant de les faire. Il croit que la vérité est d’arriver à agir sans penser, comme, m’a-t-il dit, on parle sans penser. C’est quelque chose qui l’avait toujours frappé et qu’il ne le comprenait pas très bien ; c’est pourquoi il était venu au monastère, il y a deux ou trois ans : pour suivre l’enseignement d’un maître. Il trouvait curieux aussi qu’un enfant arrive bien à téter sa mère sans penser. Si je comprends bien ce qu’il voulait dire, c’est qu’il faudrait arriver à agir spontanément, sans penser, sans préméditation, à être toujours dans l’action présente, à être cette action ; alors que quand on fait quelque chose dans un but, parce que c’est utile, pour aider les autres, etc., on est dans les pensées et non dans l’action pure. Je lui ai alors demandé s’il fallait aussi penser sans penser, mais il n’a pas compris ma question (elle n’était sans doute pas très bien exprimée). Je pense que oui. Cette façon d’agir, de parler, de penser, d’être, serait celle des êtres qui ont réalisé la plénitude, la vacuité, l’unité du sujet et de l’objet… en un mot, le nirvana.
Le problème, pour un être ordinaire, c’est qu’agir ou parler sans penser présente le danger de ne pas toujours bien agir ou bien parler, puisqu’il va suivre ses réactions habituelles sans le contrôle de la pensée, qui limite un peu les dégâts. Je pense que seul un être illuminé peut agir spontanément et en même temps d’une façon toujours juste et bénéfique pour tous. Jinen a beaucoup insisté, pour finir, sur l’importance d’avoir un bon maître zen ; il m’a dit que si on en cherche vraiment un, on le trouve. M’incitait-il à prendre ce conseil personnellement ?
Je suis ensuite allé méditer une demi-heure dans le zendo* pendant le repas des moines, puis j’ai mangé seul et suis retourné méditer pendant une heure et quart.
* Hosshin-ji : monastère zen de l’école soto situé à Obama, sur la côte nord-ouest du Japon. L’abbé, Harada Sekkei Roshi, accueille volontiers les étrangers, moines et laïques, ce qui m’a permis d’y participer à plusieurs sesshins (retraites de méditations).
* Zendo (japonais) : salle de méditation dans la tradition du zen.
15 octobre 1989, Obama (Japon)