Visiter des temples
Voyage dans le Nord de la Thaïlande avec la Siam Society*. Je n’étais pas dans une ambiance très dharmique, sans avoir pour autant de l’aversion pour mes compagnons de route. Mais je ne me sentais pas sur la même longueur d’onde et ai préféré garder calmement mes distances.
Même la visite des temples ne me satisfait plus. Prendre des photos, des notes, apprendre des noms propres et des dates, comparer les formes, les images de bouddha, me semble encore bien en dessous du premier niveau du bouddhisme où le fidèle vénère les images : ici on ne les vénère même pas, on les classifie dans une érudition athée d’histoire de l’art… Ça n’a rien à voir avec la voie spirituelle. Et si mon œil a maintes fois apprécié la beauté des formes et des couleurs, mon esprit ne s’est pas beaucoup rapproché de la nature de bouddha. Je crois qu’une journée à Suan Mokkh* ou dans un monastère où l’on pratique et enseigne m’apporte beaucoup plus que la visite de cinquante temples classés dans les monuments historiques, qui ne sont plus que les œuvres mortes d’artistes ou de sages du passé. Et je me demande d’ailleurs s’il est bien raisonnable de persister à les restaurer à grands frais, et si finalement cet attachement aux formes du passé n’est pas un obstacle au flux naturel des choses. Enfin, est-il plus raisonnable de me questionner sur la « raisonnabilité » des choses, et en particulier des entreprises humaines ? Au moins, restaurer ou reconstruire des ruines n’est pas une entreprise trop pernicieuse et négative, et elle nous permet de contempler de bons et beaux aspects de la culture de nos ancêtres : c’est sans doute une bonne pratique, même si ce n’est pas une voie directe vers l’éveil.
* Siam Society : vénérable société sous patronage royal qui s’occupe de la promotion et de la préservation de tout ce qui concerne la Thaïlande et le Sud-Est asiatique. La Siam Society possède une riche bibliothèque et un petit musée ; elle organise toutes sortes d’événements en relation avec l’histoire, la culture et les traditions de la Thaïlande et de sa région : conférences, spectacles, expositions, excursions, voyages d’étude.
* Suan Mokkh : monastère de la forêt fondé par Ajahn Buddhadasa. Suan Mokkh signifie littéralement « le jardin de la libération ». Ordonné moine à l’âge de vingt ans, Ajahn Buddhadasa (1906-1993) fonda en 1932 le monastère de Suan Mokkh, qui fut le premier monastère de forêt dédié à la méditation dans le sud de la Thaïlande. Son dernier projet, à la fin des années 1980, fut d’établir à Suan Mokkh un centre international de Dharma, Suan Mokkh International, qui organise régulièrement des cours et des séminaires sur le bouddhisme et des retraites de méditation. Ajahn Buddhadasa fut, avec Ajahn Chah, un des maîtres thaïlandais les plus influents du vingtième siècle. J’ai eu la chance de suivre son enseignement de 1988 à 1993.
24 octobre 1990, Bangkok